Bonjour Clément, je tenais à te rencontrer, Ludovic me dit que nous avons parmi nous une sorte d'ET, enfin, disons un spécimen de pilote assez rare, qui candidate pour l'Agence Spatiale Européenne. C'est énorme ! Quel a été le déclencheur ? Eh bien, oui, c'est vrai, j'ai envoyé ce mois de mai ma candidature à L'ESA. C’est seulement la quatrième sélection d’astronaute depuis la création de l’agence en 1975, c’est la chance d’une vie ! Être astronaute me permettrait de combler mon goût pour la science et l'aventure, et pourquoi ne pas le dire, même si ça peut sembler présomptueux, de satisfaire mon envie de contribuer à la marche de l'humanité. Wow. J'imagine qu'une telle démarche ne sort pas d'un chapeau. Tu t'y es préparé de longue date ? Comme beaucoup de gamins j'ai rêvé d'être astronaute. Mais rêver ne suffit pas. J'avais entendu dire que les astronautes étaient athlétiques, et agiles. Alors dès l'âge de six ans je me suis mis à la gym. Au début, je n’aimais pas trop ça mais au final j'ai fait 12 saisons en compétition nationale. OK. Et l'avion dans tout ça ? J'ai appris, bien plus tard, à voler sur Jodel à Saint Jean en Royans, et j’ai obtenu mon brevet de base à 16 ans. Piloter, comme tu sais, ça apprend à contrôler et gérer un ensemble de variables complexes en temps réel. Par la suite j'ai découvert une autre façon de voler : le parapente, qui requiert beaucoup d'humilité et qui a aussi aiguisé mes compétences en termes de gestion de risques. J’adore la troisième dimension pour l’adrénaline qu’elle procure et la perspective unique qu’elle offre sur le monde. Mises ensemble, ces différentes pratiques m'ont donné une conscience plus claire encore de la singularité de notre Pale Blue Dot. Pale Blue Dot ? Oui, ça veut dire "point bleu pâle", c'est le titre que Carl Sagan a donné à un de ses livres, à partir d'une photo de la Terre prise à des millions de km par la sonde Voyager 1 en 1990… Tu disais ? Oui, en plus de confirmer ma passion, voler a littéralement boosté mon intérêt pour la science et la technologie. J'ai vu que tu étais bien armé de ce côté- là… J’essaie en tout cas ! Après avoir étudié à l'ENSTA et Supaéro, j'ai travaillé pour NAVYA, qui fabrique des véhicules autonomes afin de limiter la congestion urbaine et son impact environnemental. J'ai participé à la création de nouvelles fonctionnalités de planification de trajectoire, depuis le développement logiciel jusqu'aux essais sur véhicule. Cela m'a permis d'approfondir mes compétences en matière d'analyse et de résolution sur des systèmes robotiques complexes, tels que les engins spatiaux et les rovers. Plus récemment, je me suis impliqué dans le Shift Project, c'est un think tank français qui porte les problématiques environnementales auprès des leaders politiques et économiques. Pendant une dizaine d'années j'ai également fait partie de l'association Parlement Européen des Jeunes, parce que je suis persuadé que les solutions dans ce domaine ne peuvent être que transnationales. Grâce à ces activités de volontariat, j'ai été en mesure d'intervenir et de débattre lors d'assemblées multiculturelles et de mettre en œuvre des motions innovantes. En ce sens, l'ESA est pionnière en matière de coopération internationale et contribue significativement au leadership géostratégique et technologique européen. Si je parviens à intégrer l'Agence, c’est avec plaisir que je porterai sa voix et contribuerai à partager et à rendre la science accessible, comme le fait aujourd’hui Thomas Pesquet avec brio. Tu as donc à cœur de faire ce que tu peux pour te rendre utile ; est-ce que tu as d’autres exemples ? Oui, pour en prendre un relativement récent et qui parle à tout le monde : dans le cadre de la pandémie COVID-19, en tant que développeur de logiciel j'ai eu l’opportunité de collaborer à la création d'un respirateur artificiel pour accroître les capacités des services hospitaliers d'urgence. Cet été, j'ai aussi proposé mes services dans un hôpital comme brancardier pour être au plus près des soignants dans leur lutte quotidienne, et mieux comprendre leurs besoins. Pas facile. Non, effectivement, mais c'était le but. Je voulais aussi savoir si je pouvais faire face à des situations critiques en restant calme, efficace et rigoureux. S'occuper de patients en détresse, gérer leur famille dans des circonstances délicates. Je n’ai pas la prétention d’avoir sauvé beaucoup de vies mais c’était en tout cas très enrichissant d’être aux côtés de ceux qui le font et de découvrir cet univers. J’ai eu le sentiment d’être dans le concret, c’était moins abstrait que lorsque je code sur mon ordinateur. Et avec tout ça, tu es, en plus, militaire. Parle-nous de ça. Après avoir longtemps mûri le projet, j’ai décidé l’année passée de m’engager dans l’armée et je suis donc allé faire mes classes à Saint-Cyr Coëtquidan. Aujourd’hui, je suis chef de section en second dans la Réserve Opérationnelle, chez les chasseurs alpins. J'ai la sensation que les astronautes et les chefs militaires ont beaucoup de choses en commun. Ils conjuguent la pensée à l’action et les forces morales à l’endurance physique. Dans les deux cas ils doivent continuellement s'entraîner et se surpasser pour rester opérationnels. En fait, chaque exercice militaire est une occasion d'éprouver et de renforcer ténacité et sang-froid dans des situations intenses de stress et d'épuisement. J'entends que tu es de la région. Oui, je suis originaire de Grenoble, c'est pour cela que j'ai rejoint le Régiment d'Infanterie de Montagne de Varces, parce que j'adore randonner ou voler en parapente. Comme dans les missions spatiales, faire de la montagne te confronte à des obstacles qui ne peuvent être surmontés qu'au prix d'un effort et d'une détermination véritablement collectifs. En fait tu as organisé toute ta vie en fonction de cet objectif : l'espace. En effet. Aujourd'hui je saisis cette opportunité, unique dans une vie, de devenir astronaute pour l'Agence Spatiale Européenne. C'est, pour moi, la façon la plus utile et la plus exaltante de mettre mon énergie et mes compétences au service de nouveaux "pas de géant pour l'Humanité", pour reprendre l’expression de Neil Armstrong. Envoyer des humains dans l'espace et s'installer sur des corps célestes lointains va nécessiter des interactions de haut niveau entre robots et humains, où je pense que mon expérience en robotique est un plus. Et puis je suis quelqu’un de très sociable et de calme ; deux qualités que je pense essentielles quand on envisage des voyages au long cours en vase clos. Impressionné je suis, et par ton parcours et par ta manière de te projeter dans l'avenir, immédiat et lointain. Je croise –nous croisons– les doigts pour que tu nous annonces un jour, "bon salut, je pars pour Mars." Propos recueillis par Bernard Moro
Clément et Mars… une histoire possible.
Préparation de vol avec Ludovic Perrin.
Compliqué, les zones autour de Lyon…
C’est parti…
Et toujours, toujours, la tête dans le ciel… ou l’inverse !
Clément a passé son brevet de base à 16 ans, à l’aéroclub de Saint Jean en Royans. Depuis 2009 il vole chez nous et parfait sa formation. Vous n’avez sans doute pas entendu parler de lui, c’est un jeune homme plutôt discret. Et pourtant… Tenez, jetez un coup d’oeil à son CV. Il a accepté une interview et bien voulu répondre à mes questions, voir ci-dessous… and grab your balls!
Photos Maxime  Gruss